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Le marathon

You have done it !

C’est la phrase le plus marquante qui reste dans mon souvenir de ce marathon après avoir franchi la ligne d’arrivée. Oui, je l’ai fait !

Le bus vient nous chercher devant le Old Camp, c’est là que je loge.

J’arrive un peu juste, le premier bus est plein. Je me dirige donc vers le deuxième.

Je le reconnais, c’est celui que l’on avait pris au début de l’excursion du glacier Russel la veille et qu’on a dû abandonner au profit d’un autre ; il était venu nous récupérer peu après le départ car le premier était en panne de…chauffage ! Le voyage jusqu’à la ligne de départ se fera donc à température ambiante c’est à dire entre -10°C et -12°C. Le trajet a duré un peu moins d’une heure. La condensation produite par les occupants s'est déposée sur le plafond voûté et a fini par tomber comme de la neige à l’intérieur du bus. L’ambiance est posée !

Cela dit, on n’a pas eu à souffrir du choc thermique en sortant, contrairement aux autres.

Nous voilà prés de la « Start Line », tout le monde fini de s’équiper et chacun dépose son sac dans des paniers qui seront à notre disposition aux kilomètres 21 et 30. Mon sac orange pour le ravitaillement est dur comme s’il était fait de carton rigide alors que normalement c’est du plastique relativement souple. Je n’arrive pas à lui faire prendre sa place dans la barquette. Tant pis, il restera sur le dessus, comme posé par erreur…

Je prends mon coupe vent dans mon sac de course car il tombe une petite pluie de glace. L’air me brûle la langue et me donne l’impression de respirer une pastille Valda à la menthe forte.

Je monte le Face Mask sur mon nez. Cette sensation je la connais, elle me rappelle celle que j’avais dans le congélateur à St Paul durant mes séances d’entraînement. Il doit faire froid (autour de -20°C, en fait !)

On se regroupe en masse désordonnée derrière la ligne de départ, j’entends parler en anglais au micro, un décompte puis une petite déflagration. C’est le départ !

Je suis au train un grand « type » avec un coupe vent siglé par le tour opérateur « Terre d’aventure ». Ce doit être un des 4 français que j’avais entre-aperçu à l’aéroport lors de notre arrivée à Kanger. N’étant pas dans le même hôtel que moi, je ne les ai plus revus par la suite. En même temps, cette année aura été un record d’affluence pour les épreuves ; nous étions en tout environ 160.

La route monte jusqu’à la calotte que l’on atteint après 2 kilo de piste gelée. Je me rappelle du tracé, on l’avait reconnu deux jours auparavant. Tout le monde se suit en file indienne sur ce « single track » creusé dans une poudreuse vieille de 12 ou 24 heures. Il faut lever les pieds, on s’enfonce parfois jusqu’au genoux.

Le ciel est bas, il tombe une sorte de glace, le paysage est moins enchanteur que lors de la reconnaissance. En même temps, je ne suis pas là pour « étendre le linge » comme dit Raoul !

On finit par sortir de ces ornières de glace pour regagner une piste recouverte de neige et de glace que l’on ne quittera plus jusqu’à l’arrivée.

Premier ravito. Boisson chaude et un peu de monde autour de la table de camping servant de desserte aux thermos pour les boissons. Je ne m’attarde pas trop et je repars. Je suis plutôt bien, les foulées sont rythmées, le souffle et le rythme cardiaque me semblent dans le vert.

Entre le Kilo 10 et 15, ça se complique un peu. J’ai une course complètement désordonnée, les deux jambes ne sont pas coordonnées. Je commence à me poser des questions. Je m’attendais à avoir à gérer la jambe droite mais les deux, pas vraiment.

Je suis tout seul maintenant et probablement la lanterne rouge du marathon. Un Pick-Up me suit depuis un ou deux kilomètres puis finit par me dépasser, deux personnes à bord, la vitre se baisse à ma hauteur et la passagère du véhicule en se penchant me lance un « Are you OK ? » avec un regard inquiet. Je la reconnais, au briefing on nous l'a présentée, c'est le médecin.

Je réponds, comme un plongeur d’apnée, « Yes, i’m OK ». La vitre se ferme, le regard qu’elle me lance en dit long sur mon jeu d’acteur !

Je les retrouve au ravito des 15 Kilo. Je m’arrête, je demande à m’asseoir sur le plateau du Pick-up du ravito qui est ouvert. Le médecin me porte un gobelet d’une sorte de thé sucré aux baies du Groenland. Elle me demande à nouveau si ça va ; je lui réponds à nouveau « oui ».

Ils discutent entre eux l’air dubitatif. En me suivant, ils ont dû voir un spectacle très surprenant, je suis sûr qu’un type un peu alcoolisé pourrait courir un peu comme ça ! Ils ne vont pas me faire souffler dans le ballon avant de repartir quand même !

Je descends de la tablette du Pick-up, je range mon coupe vent et je m’équipe de mon orthèse bricolée sous le regard surpris du médecin. Je lui lance un « I’m Ok » et je repars avec une course meilleure après cette halte et surtout l’orthèse du releveur. Ils repartent presque aussitôt, tiens c’est curieux ! Ils finissent par me doubler après environ 2 Kilo. Petit geste amical à travers la fenêtre au passage.

Je suis à nouveau tout seul. Et je le serai jusqu’à la fin !

Peu après, ça recommence à dysfonctionner. C’est de plus en plus dur d’avoir une coordination correcte des jambes. Ca ne m’était encore jamais arrivé comme ça !

Jusqu’au kilo 21, c'était un vrai calvaire, à tel point que j’envisageais sérieusement l’abandon.

Je pense aux miens, à ma femme, à mes enfants et à tous ceux qui m’ont soutenu. Qu’est ce que je vais bien pouvoir leur raconter si j’arrête là ?

Je me dis que je ne peux pas, je ne dois pas abandonner. Je connais ces phases de mou et de doutes pour les avoir vécues lors de mes ultras en montagne quand j’étais…, bref avant quoi !

Arrivé au ravito du semi, je m’asseois sur le sol gelé, je retrouve « mes amis du staff médical ». Le médecin vient me voir en me tendant son thé local et un bout de carton pour mettre sous mes fesses (sûrement pour m’isoler un peu du froid). On discute un peu. Je lui dis que mes jambes sont un peu capricieuses et qu’elles ont besoin d’un peu de repos.

Elle cherche à comprendre. Je lui livre le truc : « multiple sclerosis », in english if you please !

Son regard change. Elle marque comme un temps d’arrêt, puis elle me dit « I understand, now ».

Bon, ça c’est fait, maintenant il faut penser à courir. Je repars après cette bonne pause comme allégé par ce que je lui ai dit et par ce qu’elle a compris. La route est encore longue. Je distingue au loin le tracé de la piste qui serpente en vallons.

Ca va durer !

Les deux paires de gants et le froid rendent toute préhension quasi impossible. Attraper une barre chocolatée dans les petites poches de mon sac devient un vrai exploit. Les écouteurs tombent de mes oreilles, pour les remettre en place c’est du domaine de l’aléatoire ! Pourtant j’ai besoin d’un coup d’AC/DC pour me booster ! Je ne sens rien, même pas quand j’arrive à les attraper entre mes doigts, alors pour les replacer dans les oreilles, je ne vous dis pas ! Je pense alors qu’ils sont bien trop petits ces trucs là ! Et pourquoi on n’en fait pas des mieux ! Ces occupations m’éloignent de mes pensées sombres.

Le froid a eu raison de mon iPhone et de la batterie de ma Gopro. Il va falloir la changer, sinon pas de reportage !

Rien que d’y penser, ça m’énerve !!

Après maintes péripéties acrobatiques, c’est chose faite. Elle était pourtant pleine ce matin mais le froid de « l’Ice cap » l’aura vidée en moins de deux. L’IPhone, lui, il est complètement givré ! Mimétisme ?

Je commence à faire des calculs. Je pense à la barrière horaire, je regarde mon chrono au kilo 25. Je gamberge. Je me dis, si tu vas jusqu’au 30, tu finis ! Même si le temps est dépassé, tu iras au bout quand même.

J’arrive enfin au 30. Les jambes ne vont pas mieux. J’alterne marche et course. Plus de marche que de course d’ailleurs.

Je m’arrête à nouveau, je bois un thé chaud. Le staff médical à disparu, seul un local m’accueille chaleureusement pour me ravitailler. Je me dis qu’ils doivent penser que j’y arriverai quand même. Je suis un peu plus confiant. La halte dure un peu plus longtemps que les autres, je sens que j’en ai besoin, de ces phases de repos. Mais je pense sans cesse à cette maudite barrière horaire !

Maintenant, il faut repartir et finir !

Je vois le panneau du kilo 35, enfin ! La douleur musculaire se fait de plus en plus sentir. Les jambes sont de plus en plus difficiles à lever, mais ça commence à sentir l’écurie !

J’imagine la « finish line » et la délivrance. L’émotion me gagne. Pas de pudeur, je suis tout seul de toute façon !

Je m’arrête sur le côté de la route, je m’étire, ça va mieux. Mais c’est du temps perdu. Le chrono lui ne s’arrête pas (et ne s’étire malheureusement pas non plus!)

Je recommence à calculer, ma vitesse moyenne est un peu juste. Ca risque de se jouer à 5 ou 10 minutes ! Après 7 heures dehors, ça serait trop dur de ne pas recevoir la médaille et le Tee-shirt « Finisher ». Pourtant c’est le deal.

J’arrive péniblement au kilo 38 et je vois au loin l’aéroport. Tiens, il est plus haut que l’endroit sur lequel je suis ! Je plisse les yeux, je regarde droit devant et je devine ce que je soupçonnais, une interminable montée m’attend pour parvenir au niveau de « l’altitude » de l’aéroport et de l’arrivée. (J’exagère sûrement, mais quand on est presque au bout, tout paraît une « montagne » !).

Bon, il ne faut pas flancher si près du but. La côte va sacrément me ralentir dans ma moyenne. Allez, il faut s’accrocher, je n’ai jamais été aussi près du but.

La course devient pénible presque impossible mais il faut tenir, l’heure tourne. A ce moment là, je dois être à environ 6h30 de course. Un autre combat commence, (comme si ça ne suffisait pas), celui contre le temps qui avance et qui ne s’arrête pas, lui !

Je regarde en permanence au loin pour guetter les panneaux kilométriques. La tension monte sérieusement et je réalise que peut-être le défi va m’échapper vraiment.

Voilà une bouffée d’émotion qui revient, ça me booste un peu.

J’entame la dernière descente prés de l’aéroport et j’aperçois le Pick-up du staff médical arrêté, le doc et le chauffeur sont sortis devant le 4x4 avec un appareil photo ! (Je pense qu’elle n’y croyait plus). Je passe en claudiquant devant la voiture arrêtée sur le bord de la route, je jette un œil embrumé vers ces spectateurs immobiles, je tente un dernier « I’m OK » ironique mais rien n’arrive à sortir de ma bouche à part une sorte de petit son animal !

Tant pis, le mec cool, je le ferai demain !

Ensuite viennent les derniers 400m... dur ,dur, mais c’est bientôt la fin. J’arrive à lire sur ma montre que le kil 42 est presque franchi, je cherche du regard la « finish line », je ne la vois pas encore. Un virage à gauche et j’aperçois un gars de l’organisation qui m’a vu et il arrive en courant vers moi. Mon chrono indique 6h55 min ! Je saisi que le gars me dit de ne pas lâcher car j’approche du « time up » ! Il ouvre sa veste, commence à trottiner à côté de moi et met sa main sur mon sac dans le dos comme pour m’empêcher de marcher. Je tiens le coup, mes foulées doivent ressembler à celles d’un pépé de 90 ans, les pieds frottent sur la neige. Je vois à 100m de la ligne deux chinoises avec la fameuse médaille autour du coup courir vers moi. Je subis tout, je ne contrôle plus rien. Elles courent sur ma gauche m’encouragent en anglais (autant dire que je n''ai rien compris) mais je sens que ça va le faire ! Une des deux filles me dépasse et me filme avec son téléphone en train courir avec sa copine qui m’encourage, sûrement.

Il y a une poignée de personnes sur la ligne qui devait attendre dans le froid le…dernier. Hé bien il est là !

Une fois la ligne franchie, une jeune fille en tenue traditionnelle me met autour du coup la médaille que j’ai si souvent pensée avoir perdue durant les derniers interminables kilomètres.

Je lui tombe presque dessus, la pauvre ! Je m’agrippe à ses épaules sinon je bascule en avant. Je sens la main du gars qui m’a fait faire dignement les derniers mètres saisir la mienne et me dire clairement « You have did it ! » (là, j’ai tout compris !).

Je m’accroupis contre l’un des deux escaliers roulants qui supporte un côté la banderole de la « finish line » (escaliers empruntés pour l’occasion à l’aéroport). Je prends ma tête entre mes mains, je sens des mains sur mes épaules se poser comme pour me dire bravo.

Tout me semble être pris dans un halo surréaliste, le temps est ralenti. C’a y est, c’est fini… c’est gagné aussi.

Le reste m’appartient…

Au travers de ce témoignage, j’ai voulu tenter d’expliquer que le combat contre la SEP est souvent une lutte silencieuse, comme l’est cette maladie. Mais parfois ça fait du bien de partager cette épreuve pour que tout le monde comprenne ce qu’est le quotidien partagé avec cet ôte obligé.

Mes pensées vont à ceux qui ne peuvent plus courir ou marcher à cause d’elle, qui ont leur vie changée. Ceux qui viennent de l’apprendre depuis quelques jours. Il faut se battre pour gagner des batailles même si ça ne change pas l’issue de la guerre. Ce qui est gagné n’est pas cédé ! Je pense aussi que ce témoignage pourra éclairer ceux qui partagent leur vie avec des malades et les aider pour mieux les comprendre, les supporter et les soutenir.

Derrière ça, il n’y aucun exhibitionnisme mais l’envie de partager une formidable aventure, un marathon extraordinaire.

J’avais décidé de courir ce marathon depuis plus d’un an pour… ne pas tomber !

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